Il est là


40ishhh semaines… Les enfants sont maxi impatients de voir leur nouveau petit frère. Romane me demande constamment comment va « mon bébé Paul-Henri », ou elle me dit qu’elle va écraser « mon bébé Paul-Henri » lorsque je la prends dans mes bras.

Cloé et Sophia s’informent fréquemment au moment d’aller au lit, à savoir si je vais aller à l’hôpital ce soir ou cette nuit. Comme si elles avaient l’angoisse de ne pas retrouver leur maman au réveil et de devoir aller passer quelques jours chez leur tante avec Romane et Gisèle.  Édouard et Alice iront chacun chez leur maman respective. Tout le monde sera alors placé pour l’évènement.

Il règne une espèce d’atmosphère d’attente et de qui-vive dans la maison. Lorsque j’ai des contractions et que je dois m’accoter sur le comptoir pour laisser passer la douleur tout en leur servant leur pâté au poulet, les enfants se transforment en jeunes adultes empathiques et silencieux. Soit, ils sont surpris de voir quelqu’un souffrir live, soit ils trouvent au fond que leurs demandes deviennent soudainement superflues. Romane me dit alors « t’as mal à ton Paul-Henri, maman? »

Dans la nuit du 13 juin 2018, j’ai des douleurs au ventre et au bas du dos, assez fortes pour me réveiller. J’me sens comme Émilie Bordeleau faisant les cent pas dans sa chambre en bois de grange, froide, la jaquette longue jusqu’au sol, attendant la sage-femme qui arrivera en calèche on ne sait quand. T’sais l’épisode où elle accouche de Blanche dehors en pleine tempête de neige?  Sauf qu’aujourd’hui, c’est presque l’été, c’est un siècle plus tard, et je n’accoucherai probablement pas dans la neige.

Mon Ovila dors en étoile dans notre lit king et un bel hôpital tout chaud avec panoplie de docteurs et infirmières compétents m’attendent pour ce grand jour. Je fais vraisemblablement moins pitié qu’Émilie. Je me recouche donc. Après quatre accouchements déclenchés au Pitocin, j’ai perdu espoir de savoir un jour comment un accouchement se démarre naturellement.

Je me réveille à 5h, encore plus mal en point.  Plusieurs pensées traversent mon esprit embrouillé : ‘’Fuck. J’accouche pour vrai. Yé. J’accouche pour vrai. Fuck. Faut faire ma valise. Faut réveiller les enfants. Faut aller à l’hôpital tout d’un coup que j’accoucherais super vite par terre là là vu que c’est mon 100e bébé.’’

J’ai tout à coup perdu ma belle confiance de ‘’Moi, c’est mon 5e, je sais comment ça se passe!’’ Je réveille Ovila et les enfants. J’appelle ma grande sœur pour lui dire qu’on s’en vient porter les enfants chez elle. Obviously, j’accouche.

Je me fais alors domper à la grande porte d’entrée de l’hôpital. Au moment de descendre de notre van, me retournant pour dire aurevoir et embrasser ma tribu, j’aperçois Cloé, en larmes, comme si je partais pour la guerre et que c’était un adieu pour toujours. Sophia, aussi en pleurs mais en silence, maturité oblige. Romane crie en tendant les bras: ‘’Mamaaaan, mais c’est où tu vaaaas?????’’ Gisèle, ne comprenant pas trop ce qui se passe, se dit que pleurer est de circonstance et s’exécute. Je rassure tout le monde, leur répète que c’est un jour heureux et que P-H arrive bientôt. Ovila quitte avec la gang, il me rejoindra après son déchargement.

J’atteins l’ascenseur, seule, pliée en deux, la face crispée. Certains étrangers m’enveloppent de leur regard empathique.  J’arrive à l’obstétrique. Le médecin que je connais me dit : ‘’Hein, salut! T’es encore enceinte?’’

Moi courbée de douleur, tenant le mur d’une main et ma bedaine de l’autre: ‘’Oui…héhé ’’

Lui, à toutes les infirmières autour du poste : ‘’Hey c’est son 5e bébé! Pis elle a pas l’air de facker!’’

Y en a-t-il vraiment qui viennent faker d’accoucher? On m’admet donc.

Les premières heures de travail sont toujours, pour moi bien sûr, un peu désorganisées. Un bain par-ci, un ballon par-là. Cette fois, j’ai la chance d’avoir non seulement mon merveilleux mari à mes côtés comme toujours,  mais aussi, pour une première fois, ma sœur ainée. Elle était seulement venue pour me dire «allô» après avoir reconduit mes enfants à l’école. Mais comme tout se passait assez bien, elle a décidé, à mon grand bonheur, de rester dans la salle d’accouchement.

Dans la vie, ma sœur est femme d’affaires. Comme tout bon entrepreneur, elle passe aussi une grande portion de sa vie sur son cell (you know…emails, calls, text messages…). Puisque j’ai pas pire mal mais encore très gérable, avec du soufflage et du sautillage sur un gros ballon, elle décide de sortir son ordinateur pour travailler un peu….juste un peu. Juste quelques appels conférences qui ne peuvent attendre, et des directives à donner à des gars sur le chantier.

J’ose croire que c’est parce que son travail est tellement emballant qu’elle a oublié qu’une personne accouchait next to her. Son ton augmente au même rythme que ma douleur et mes AHHHH de plus en plus sonnants.

Elle fait les cent pas, la tête penchée vers la fenêtre pour mieux pogner le réseau, son index enfoncé dans l’oreille libre pour mieux entendre son interlocuteur. Elle ne voit pas non plus les regards remplis de haine que lui lance l’infirmière qui essaie de m’expliquer entre deux contractions pourquoi nous allons crever mes eaux. Moi, je suis aux anges d’avoir ma grande sœur si proche et je trouve la scène sincèrement amusante.

Mes contractions deviennent de plus en plus fortes suite à la crevaison artificielle de la maison du Paul-Henri. On vient vraiment d’atteindre une autre game.

La sœur, avec un sourire : ‘’Bon, je crois que je vais arrêter les appels.’’

Choix judicieux.

Au risque de me faire bien juger, j’ai toujours eu tendance à me déculpabiliser d’avoir pris la méchante épidurale à tous mes accouchements, dû à mes déclenchements artificiels. Je me disais que les contractions sont tellement féroces sous Pictocin. Que l’intensité est si immonde que personne ne pourrait passer à travers ces précieux centimètres pour se rendre à 10 sans l’épidurale….Honte à moi.  Mon dernier enfant est bel et bien arrivé par lui-même en cette journée du 13 juin (bon, j’ai quand même participé…) et oui, J’AI PRIS L’ÉPIDURALE.

Après que le liquide froid ait descendu ma colonne et m’ait soulagé, j’ai pleuré ma vie. J’aurais voulu reculer le temps et me dire que j’aurais pu continuer. Que la douleur est bonne et qu’elle me rapproche de mon bb. Je m’en voulais tellement d’avoir succombé et d’avoir prononcé ces quatre mots presqu’en chuchotant…

Moi, assise en indien sur mon lit : ‘’Je veux l’épidurale….’’

Ma sœur et Ovila, chacun de leur bord du lit, tendant l’oreille : ‘’Quoi?’’

Ma sœur : ‘’Je vais te le demander juste une fois. T’es sûre?’’

Moi : (hochement de tête)

Ma sœur, à Ovila en face d’elle qui a très bien entendu : ‘’Elle veut l’épidurale.’’

Ovila, dans l’embrasure de la porte, à l’infirmière: ‘’Elle veut l’épidurale.’’

Infirmière, à quelqu’un que je ne vois pas : ‘’Elle veut l’épidurale.’’

Ma sœur, au cellulaire, probablement à ma mère : ‘’Elle veut l’épidurale…’’

C’est comme un écho sans fin qui alimente ma culpabilité, ou un mot de passe secret pour soulager une douleur sans nom. C’est selon.

Plusieurs choses changent après la fameuse anesthésie. Le rythme du travail ralentit considérablement, entrainant l’obligation de m’injecter du Pictocin.  I know…same old, same old…

Mais aussi et surtout, l’ambiance de la chambre. Presque silencieuse. Pas de conférence. Pas de soufflage intense. Le calme. Comme une pause.  J’ai même dormi quelques minutes, je crois. Dormir en accouchant. Qui l’eu cru. Je crois que même Bordeleau n’ai jamais fait ça.

Je vous épargne les détails crus jusqu’à la délivrance du Paul-Henri, mais je peux vous dire que ma culpabilité s’est rapidement envolée quand j’ai posé les yeux la première fois sur mon fils. Épidurale ou non.

Mon garçon à moi. Le seul et l’unique.

 

Anne + 8

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